Wieczysta Kraków : Quand le football perd la raison
- Jo
- 11 nov.
- 4 min de lecture
Il est des clubs qui attirent la sympathie de tous, peu importe les antagonismes, et d’autres qui réunissent l’ensemble de l’opinion contre eux.
Aujourd’hui, on vous présente le Wieczysta Krakow, petit club de quartier que rien ne prédestinait à venir tutoyer les sommets.
L’histoire du Wieczysta Kraków commence bien avant la date officielle de sa fondation. En 1936, dans les prairies de Rakowice, un groupe de jeunes passionnés mené par Stanisław Górecki crée une petite équipe appelée Wieczyszczanka. Le club, non affilié à la fédération, dispute des matchs amicaux contre des équipes voisines comme KS Dąbie ou Czyżyny.
Le manque de moyens met rapidement fin à cette aventure, mais l’esprit du sport subsiste. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle équipe, Ostoja, voit le jour — toujours officieuse, mais symbole d’une jeunesse déterminée.
Pendant l’occupation allemande, comme souvent en Pologne, le football devient un acte de résistance. Alors que les activités sportives sont passibles de mort, les habitants de Rakowice continuent à jouer clandestinement.
C’est dans ce contexte que, sous l’impulsion d’Edward Ignaszewski, ouvrier envoyé de force dans l’entreprise allemande Baudinst, le club renaît officiellement en 1942 sous le nom de Wieczysta. Ignaszewski finance les premiers équipements et tente même de construire un terrain privé. Ce geste marque la véritable naissance du club.
Après la guerre, le Wieczysta se structure et intègre les compétitions officielles. En 1947, le club atteint la classe A, équivalent du deuxième niveau national de l’époque. Les décennies suivantes oscillent entre espoirs et difficultés. Les années 1950 et 1960 voient le club évoluer principalement dans les ligues inférieures, dans l’ombre du Wisła et du Cracovia.
Un tournant symbolique survient le 22 juillet 1961 : le Wieczysta inaugure son propre centre sportif à Rakowice. Cette même année, les juniors remportent leur première promotion majeure.
5 ans plus tard, la réforme du championnat polonais ouvre les portes de la IVe ligue au Wieczysta. L’expérience est courte, mais elle reste un jalon important dans l’histoire du club.
Je suis venu à Wieczysta pour M. Kwiecień et je souhaite contribuer à deux montées en division supérieure - Sławomir Peszko
Pendant les décennies suivantes, le Wieczysta conserve son statut de club communautaire. Il devient un symbole du quartier, un lieu de rencontre et d’éducation, où se mêlent sport et patriotisme. Le club ne se limite pas au football : une section de tennis de table voit le jour en 1946, et plus tard une équipe d’échecs et des terrains de tennis couverts s’ajoutent aux installations.
Les années de transition économique après 1989 apportent un nouveau souffle. Des figures locales comme Kazimierz Marona et Adam Biegalski soutiennent financièrement le club, qui parvient à se maintenir malgré les difficultés du football amateur polonais.
Au début du XXIe siècle, le Wieczysta reste une petite équipe de ligue de district, symbole du football populaire de Cracovie.Lors de la saison 2014/2015, le club descend même en classe A, le sixième niveau national. Peu auraient alors imaginé que, quelques années plus tard, ce modeste club deviendrait l’un des projets les plus ambitieux du pays.
L’année 2020 marque un tournant historique. Le millionnaire originaire de Cracovie Wojciech Kwiecień, propriétaire d’une grande chaîne de pharmacies, décide d’investir massivement dans Wieczysta.
Ancien soutien du Wisła Kraków, qu’il a préféré ne pas reprendre à cause de ses dettes (2 tentatives de rachat, 2016 puis 2018), Kwiecień a choisi de bâtir son propre projet sportif, fondé sur le professionnalisme, la rigueur et la passion du jeu moderne : « Il prend cela très au sérieux ; il veut bâtir un club sérieux. »
Il ne devient cependant pas le président du Wieczysta, mais agit comme mécène et stratège du projet.
Wojciech Kwiecień déteste qu’on parle de lui. Il n’a accordé aucune interview, aucune photo de lui n’est disponible en ligne, et il est obsédé par la discrétion et la sécurité - Szymon Jadczak dans "Wisła w pamięci"
.Sous la direction de 8 entraineurs en 5ans, le club connaît une ascension fulgurante :
2020/2021 : 28 victoires en 28 matchs, 216 buts marqués pour seulement 8 encaissés. Promotion en IVe ligue.
2021/2022 : Wieczysta atteint les 1/16e de finale de la Coupe de Pologne, éliminant le Chrobry Głogów (D1).
2022–2025 : les promotions s’enchaînent jusqu’à la I.Liga (seconde division polonaise).
Le club attire des noms connus du football polonais : Sławomir Peszko, Radosław Majewski, Jacek Góralski, ou encore Michał Pazdan. Les infrastructures s’améliorent, le budget explose (jusqu’à 40 millions de zlotys – plus que beaucoup de clubs d’Ekstraklasa), et le Wieczysta gagne le surnom de « PSG polonais ».
En juin 2025, Wieczysta scelle donc sa promotion historique en Betclic I Liga (deuxième division), après une victoire 2–0 contre Chojniczanka Chojnice. Ce succès propulse le club à un pas de l’Ekstraklasa, l’élite du football polonais.
Le président Kwiecień et le nouvel entraîneur Cecherz affichent une ambition claire : viser la montée immédiate en Ekstraklasa.
Cependant, les défis restent nombreux. Le stade de la rue Chałupnika, qui peut accueillir 2 000 spectateurs, ne répond pas aux exigences de la première ligue. Après des négociations infructueuses avec la ville et Wisła Kraków, Wieczysta devra disputer ses matchs à Sosnowiec, au stade ArcelorMittal Park.
credit: Grawit Nosiadek - krakow.pl
Le club démarre en trombe cette saison de 1.liga, avant de... Changer 2 fois d'entraineur en moins d'un moins, le propriétaire étant insatisfait des résultats...
En l’espace de cinq ans, le Wieczysta Kraków est passée du sixième échelon du football polonais à la porte de l’Ekstraklasa, consommant 10 entraineurs, des dixaines de joueurs, parfois payés plus chers en 4e division qu'en Ekstraklasa. Ce parcours est le symptome de la déraison du football actuel, dans lequel un mécène peut décider à lui seul de complètement faire basculer le destin d’un club et de championnats. A l’image d’un Hoffenheim en Allemagne, sans base populaire, sans stade, avec pour seul argument celui de l’argent, ce club, né sur une prairie, survivant de la guerre, fidèle à son quartier, symbolise aujourd’hui les maux d’un football qui part à la dérive.
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