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"Refugees NOT Welcome" : quand les tribunes polonaises descendent dans la rue.

  • Photo du rédacteur: Maël
    Maël
  • 23 juil.
  • 6 min de lecture

Ce week-end, la Pologne a été le théâtre d’un événement inédit : des milliers de supporters de football, issus de clubs parfois historiquement ennemis, ont manifesté ensemble contre l’immigration illégale. Une démonstration de force coordonnée dans près de 100 villes, sur fond de tensions frontalières, choc émotionnel et campagne politique musclée.


Mais pourquoi maintenant ?


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Nous sommes un média spécialisé dans le football polonais. Mais il nous a semblé impossible d’ignorer ce qui s’est passé ce week-end. Nous ne prenons pas position. Nous vous exposons les faits, leur contexte et la dynamique sociale qui les entourent. À chacun de se faire son opinion.


Une mobilisation historique et inédite.


Le samedi 19 juillet 2025, la Pologne a vécu un moment sans précédent. Dans près de 100 villes, des milliers de supporters ultras, issus de clubs parfois ennemis historiques, ont défilé côte à côte. Leur mot d’ordre ? Un rejet frontal et massif de l’immigration illégale. De Gdańsk à Kraków, en passant par Poznań, Toruń ou Białystok, les chants et slogans affichés dans les stades se sont transposés dans la rue. Mais ce phénomène ne s’arrête pas à un simple rassemblement : c’est une union temporaire d’ennemis, un front commun identitaire qui illustre une fracture sociale profonde.


Ce n’est pas juste une manif. C’est une convergence.


À Katowice, une image que personne n’aurait cru voir un jour : les supporters du Górnik Zabrze, du Ruch Chorzów, de GKS Katowice et de Zagłębie Sosnowiec. Inédit. Du jamais vu dans le foot polonais.


Les messages anti-immigration ne datent pas de ce week-end. Depuis plusieurs années, certains groupes ultras polonais affichaient déjà leurs positions sans détour. Le plus marquant reste sans doute celui du Legia Warszawa, en octobre 2023. „Nie chcemy tu Berlina, Lampedusy, Francji. Dla imigrantów - zero tolerancji”.


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Lors du match entre le Górnik Zabrze et le Lechia Gdańsk, ce dimanche, un moment saisissant : tout le stade a chanté l’hymne national polonais, comme un chant de ralliement.





Des banderoles explicites dans plusieurs enceintes À Wrocław, Lubin ou Poznań, les messages étaient sans ambiguïté. Parmi les slogans :

« Si tu ne te lèves pas maintenant et ne te joins pas à nous, tu te réveilleras demain… mais la Pologne n’existera plus ! Stop à l’immigration de masse ! »

Des contre-manifestants, opposés aux slogans d'extrême droite et au climat anti-immigrés, se sont également rassemblés dans certaines villes, souvent à l’appel de milieux progressistes ou associatifs. Aucun incident majeur n’a été signalé.


Halte à la haine envers les migrants © Artur Cichuta / Trojmiasto.pl
Halte à la haine envers les migrants © Artur Cichuta / Trojmiasto.pl

La crise migratoire : le carburant.


Depuis 2021, la Pologne fait face à une pression migratoire constante à sa frontière avec la Biélorussie, avec plus de 60 000 tentatives de franchissement illégal recensées par les autorités polonaises entre 2021 et 2024. Varsovie et Bruxelles accusent le régime de Loukachenko d’organiser un chantage migratoire, en facilitant

le passage de milliers de migrants originaires du Moyen-Orient et d’Afrique. En réponse, un mur de 187 km a été construit en 2022. Mais la tension reste vive et polarise profondément le débat public. La droite nationaliste s’en empare pour défendre une politique sécuritaire, soutenue par une partie de l’opinion.


-> Voir la vidéo de Simon Puech sur le sujet


Conflit frontalier avec l’Allemagne.


Depuis mai 2025, l'Allemagne a commencé à refouler des migrants arrivant de Pologne, arguant que ceux-ci devaient déposer leur demande d'asile en Pologne. Plus de 1 200 cas auraient été recensés en deux mois, selon le ministère polonais de l’intérieur.


La Pologne réagit le 1er juillet en annonçant la réintroduction de contrôles à ses frontières avec l'Allemagne (52 points de contrôle) et la Lituanie (13 points), en vigueur à partir du 7 juillet pour une durée initiale de 30 jours. L'objectif : bloquer les renvois unilatéraux allemands.




Pendant le SuperPuchar opposant le Lech Poznań au Legia Warszawa (13.07). Banderoles, chants et slogans dénonçaient la politique migratoire du gouvernement, préfigurant les mobilisations à venir.


"Allemagne, ne touchez pas aux frontières polonaises !"
"Allemagne, ne touchez pas aux frontières polonaises !"

La question migratoire au cœur de la présidentielle.


Pour comprendre pourquoi ces mobilisations prennent autant d’ampleur aujourd’hui, il faut regarder le paysage politique polonais — façonné depuis une décennie par une droite nationaliste bien implantée.


Le PiS (Prawo i Sprawiedliwość), qui a dominé la scène politique polonaise entre 2015 et 2023, continue de peser idéologiquement. Très influent dans les médias publics, la justice ou les cercles catholiques, le parti reste populaire dans les campagnes et parmi une frange de l’électorat conservateur. Bien que plus discret sur ces mobilisations, le PiS fut le premier à ériger un discours anti-immigration structuré et à construire le mur frontalier avec la Biélorussie. Son silence actuel contraste avec sa ligne dure des années précédentes.

Certains analystes y voient une stratégie d’attente avant un retour offensif.


En 2023, le retour de Donald Tusk à la tête d’un gouvernement pro-européen crée une brève respiration politique, mais sans vrai changement de fond : les institutions restent marquées par le PiS, et la société polonaise, elle, continue de basculer à droite.


C’est dans ce climat polarisé qu’arrive la présidentielle de juin 2025, qui voit la victoire de Karol Nawrocki, soutenu par les ultras, les réseaux catholiques conservateurs, et la frange dure de l’électorat nationaliste.


Slogan de campagne :

Po pierwsze Polska, po pierwsze Polacy - « La Pologne d’abord, les Polonais d’abord »

Sa victoire est un signal clair : une partie importante de la population veut durcir encore la ligne migratoire et se méfie plus que jamais de l’Union européenne. Dans les tribunes et les cortèges, on se sent conforté, autorisé, encouragé : ce qui était crié dans les stades peut maintenant descendre dans la rue.




Le drame de Toruń : point de bascule émotionnel.


Le point de rupture a été la mort tragique de Klaudia K., une étudiante de 24 ans, agressée dans la nuit du 11 au 12 juin dans un parc à Toruń. Elle a reçu plus de 15 coups de couteau au visage, et l'agresseur lui a planté un tournevis dans les yeux pour empêcher toute reconnaissance faciale. Son agresseur présumé, un Vénézuélien de 19 ans, a été arrêté.


Elle succombe à ses blessures le 27 juin. Un "marsz milczenia", (marche silencieuse) est organisé dans la ville. L'émotion nationale devient un carburant idéologique pour des groupes extrêmes. Rapidement, la tragédie est instrumentalisée.


© Stach Antkowiak/REPORTER
© Stach Antkowiak/REPORTER

Groupes radicaux et ultras : une sociologie complexe.


Cette mobilisation ne surgit pas de nulle part. Elle est alimentée depuis des mois par des groupes bien identifiés : Młodzież Wszechpolska, un mouvement de jeunesse ultra-nationaliste, Ruch Obrony Granic (ROG), fondé en mars 2025 par Robert Bąkiewicz, organisent des patrouilles aux frontières, marches et actions de terrain très relayées sur les réseaux.


Des slogans comme « pseudo inżynierowie » ou « pseudo lekarze » — littéralement (pseudo-ingénieurs) ou (pseudo-médecins) sont récurrents dans ces manifestations. Ils traduisent une hostilité envers les migrants perçus non pas comme des contributeurs mais comme des imposteurs venus profiter du système. Ces termes

alimentent une rhétorique de rejet, suggérant que l’immigration n’élève pas la Pologne mais la met en danger.


Une vidéo de GROMDA, que vous avez surement vu passer, montre ces discours radicalisés. « Nous défendons nos frontières, afin que personne ne puisse s'y introduire. À tous les pseudo-ingénieurs, vous entrez ici à vos risques et périls ! »




Des hooligans ? Non. Des acteurs politiques.


Souvent stigmatisés comme de simples hooligans, ces groupes de supporters sont en réalité des acteurs sociaux à part entière, parfois même des agents politiques actifs. Leurs tribunes sont un microcosme social, reflet des fractures idéologiques polonaises.


Historiquement marqués par le nationalisme, ils ont toujours été à la fois porteurs de contestation populaire et acteurs d’une affirmation identitaire forte. Aujourd’hui, ce nationalisme s’unit derrière une cause : la peur de l’immigration, exacerbée par une crise aux frontières et une rhétorique politique très dure.


Pour prolonger la réflexion, on vous recommande cette vidéo de l’Arena, qui dresse un portrait saisissant et immersif de l’univers des ultras (hooligans) polonais :



Et surtout : Konfederacja, parti politique d’extrême droite, l'avant-poste politique des tribunes.


Dans ce contexte tendu, le parti d'extrême droite Konfederacja joue un rôle moteur. Très présent sur les réseaux sociaux et dans les médias alternatifs, il relaye massivement les appels à la mobilisation. Ses figures comme Krzysztof Bosak ou Slawomir Mentzen appellent à une "résistance culturelle" contre l'immigration et les

"valeurs importées de l'Ouest".


C'est la Konfederacja elle-même qui est à l'origine de l'appel national à manifester du 19 juillet Konfederacja gagne du terrain dans les sondages, avec 15 à 18 % d’intentions de vote, et influence de plus en plus le discours du parti au pouvoir, forçant le gouvernement Tusk à durcir ses positions. Elle s'appuie aussi sur un réseau d'activistes proches des groupes radicaux et des tribunes ultras pour amplifier ses campagnes.


De mémoire, c’est également le seul parti à tracter régulièrement et de manière ouverte devant les stades, depuis de nombreuses années. Le football n’est plus qu’un terrain d’expression : c’est un outil de mobilisation politique à part entière.



Conclusion : la tribune comme extension politique


Ce week-end, les stades polonais ont quitté leurs enceintes. Les chants et tambours des tribunes sont descendus dans la rue, portés par une colère nationale, une peur collective, et une méfiance envers Bruxelles, Berlin et l'Autre.


Le football polonais, traditionnellement traversé par le nationalisme et l'identité, devient aujourd'hui un véhicule opérationnel pour des revendications politiques fortes. Le meurtre de Klaudia, les tensions frontalières, la victoire de Nawrocki et les discours sécuritaires ont scellé une convergence : celle de l'émotion populaire et du militantisme anti-immigration.


Historiquement, le football polonais a toujours été un vecteur fort de contestation : anticommuniste dans les années 70/80, antigouvernemental dans les années 2000, et aujourd’hui fortement positionné contre l’immigration.


Le stade est une arène politique.

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